Amenager un espace classe flexible

Violences institutionnelles Prévenir et éduquer
Aménager son espace classe pour un climat d'apprentissage positif

Témoignage

Annie et Sophie enseignent le français dans un LEGTA à des classes de seconde. Depuis quelque temps elles s’interrogent sur l’adéquation entre leurs pratiques pédagogiques et les besoins des élèves. Elles constatent des élèves qui ne semblent pas concentrés, n’écoutent pas ou s’agitent sur leur chaise. Elles souhaitent rendre accessibles à chacun-e leurs séquences pédagogiques.

Elles décident alors d’envisager différemment l’espace de la classe, dans l’intention d’être au plus près des besoins de chaque élève et de pouvoir adapter l’espace à leur besoin cognitif.

Partant de ces postulats, elles ont conçu une salle de classe :

1. Qui leur permet :
• De favoriser les capacités d’apprentissage de chaque élève : qualité de l'écoute, capacité de concentration, capacité de coopération ;
• D’alterner différentes modalités pédagogiques lors d’une même séquence, grâce à un mobilier adaptable (tables et chaises à roulettes, plusieurs tableaux) : tables en autobus pour les apports théoriques – tables en îlots pour du travail en petit groupes – espace central complètement dégagé pour des exercices de théâtre ou de préparation aux épreuves orales – zone avec des fauteuils confortables pour travailler seul-e ou s’isoler au besoin, vélos-bureaux pour être actif-ve tout en restant concentré-e sur le cours.

2. Qui permet aux élèves :
• D’essayer plusieurs assises, plusieurs modalités de travail (seul-e ou en groupe) pour une meilleure connaissance de soi, savoir ce qui leur facilite le plus l’apprentissage, la concentration ;
• De trouver une position dans la classe qui leur permette de trouver du confort.

Très rapidement, les deux enseignantes ont pu constater de nombreux effets sur elles-mêmes et sur les groupes classe qu’elles accueillent dans cette salle :
• La flexibilité du mobilier leur permet d’adapter la posture des élèves à leurs intentions pédagogiques ;
• La facilité à pouvoir changer d’activité au cours d’une même séquence permet des mouvements chez les élèves qui les implique davantage dans chaque activité ;
• Le mouvement et les bruits (liés aux changements d’activité, aux travaux de groupes, aux déplacements) ne sont plus parasitants, ils font pleinement partie de la vie ce classe ;
• Elles sentent qu’elles « accueillent » réellement les élèves, la salle favorise un sentiment d’appropriation (chez les enseignantes comme chez les élèves) qui semble stimuler le soin apporté au lieu mais également aux élèves et à soi ;
• Elles constatent que les élèves de Bac Professionnel qui ne manipulaient pas le seul dictionnaire présent dans la salle de chaire précédente le manipulent désormais volontiers. Il faut même des exemplaires supplémentaires.

Les élèves témoignent de l'intérêt de tels aménagements :
• Du confort : « ça fait du bien de ne pas avoir mal au dos et aux jambes quand on est en classe, on se concentre plus » « c’est plus calme pour apprendre » ;
• De la mobilité du matériel comme aidant à ne plus « s’ennuyer en cours », « ça nous oblige à rester dans le cours » ;
• Du fait qu’il est très agréable de pouvoir choisir si on veut être seul-e ou en groupe ou sur un vélo-bureau, qui « donne de l’énergie » ou encore « permet de se défouler tout en restant concentré sur le cours ».

A l’issue d’une première année d'expérience, les deux enseignantes encouragent leurs collègues à venir dans cette salle et à en développer d’autres dans l’établissement.
L’organisation de la salle de classe a peu, voire pas évolué dans le temps depuis « l’enseignement simultané » de Jean-Baptiste de la Salle, en 1680 : on y voit des tables en rangs, en lignes, en colonnes, positionnées face à un grand tableau devant ou à côté duquel se trouve le bureau de l’enseignant-e, parfois encore en hauteur sur une estrade pour permettre à chaque élève de le-la voir. Cette organisation de la salle de classe dite « en autobus » traduit une intention pédagogique : l’enseignant-e est placé-e au cœur d’un transfert des connaissances qui implique de mettre l’apprenant-e dans une position passive de réception. Il-elle est assis-e, immobile et silencieu-x-se.

L’exemple présenté ici illustre le concept de la « classe flexible », né aux Etats-Unis dans les années 1970. L’idée est de penser l’organisation de la salle de classe dans un objectif d’optimisation des apprentissages. Là encore, c’est l’intention pédagogique qui va entraîner une autre organisation de l’espace. De par un mobilier ergonomique et modulable, l’enseignant-e vise à faciliter la concentration, la compréhension et l’intégration des connaissances. L’ergonomie de la salle de classe va de pair avec une intention pédagogique visant ici à rendre l’apprenant-e le plus possible actif-ve et autonome dans ses apprentissages et à développer dans le groupe la capacité de coopération.
Le mobilier doit permettre soit de stimuler la pensée, la créativité (on parle d’assises « actives » ou « dynamiques » par exemple pour des salles flexibles proposant aux élèves de s’asseoir sur de gros ballons), de canaliser l’énergie (avec des vélo-bureaux par exemple) ou encore de permettre à l’élève de se concentrer : dans un coin un peu plus isolé, ou dans un fauteuil plus confortable et/ou plus « contenant » pour le corps (on parle alors d’assise « calmante »).

L’intention pédagogique, ici, positionne l’apprenant-e au cœur du parcours d’apprentissage.
En effet, la classe flexible poursuit trois objectifs transversaux :
Développer l’autonomie ;
• Développer la prise d’initiative ;
• Rendre l’apprenant-e actif-ve dans son parcours scolaire.


Des chercheurs en Sciences de l’éducation comme Vincent Faillet ou Yann Vibert, ou encore en Géographie comme Pascal Clerc s’intéressent à l’impact de l’aménagement des espaces scolaires sur le développement des apprenant-e-s : développement cognitif, certes, mais développement affectif et social également. Favoriser le développement des compétences psychosociales des apprenant-e-s, c’est les préparer au mieux aux défis qui les attendent tout au long de leur vie.

Opter pour ce type d’organisation de la salle de classe présuppose une posture différente de l’enseignant : de seul dépositaire du savoir, il devient « accompagnateur », « relais » dans la recherche des connaissances, leur compréhension et leur mise en perspective plus globale (lien avec les autres disciplines, le geste professionnel, etc.). Une telle disposition de l’espace permet donc le mouvement, l’échange, la coopération et il est possible d’y développer une « pédagogie mutuelle » (Vincent Faillet, 2021), c’est-à-dire mettre les apprenant-e-s en situation de s’expliquer le cours par petits groupes.

Ressources

Le guide Repenser les espaces scolaires vous aide à raisonner l'architecture de l'école au regard des usages spécifiques que vous souhaitez en faire.
Le vélo-bureau améliore la santé et participe de la réussite des élèves. C'est ce dont témoigne cette expérimentation mise en oeuvre dans un établissement de Guadeloupe.
Comment penser sa classe flexible ? Voici un document qui vous aide à réfléchir la manière d'agencer votre classe, de trouver le matériel le plus adapté pour améliorer les capacités d'apprentissage des apprenants.
En complément du précédent document, vous découvrirez ici les meilleures assises dynamiques qui contribuent à une classe flexible.

Bibliographie

Faillet, V. (2019). Remodeler sa salle de classe et sa pédagogie - Des idées pour faire évoluer la forme scolaire. Canopé Editions.

Cailliez, J.C. (2019). La classe renversée : l’innovation pédagogique par le changement de posture. Ellipses.

Pascal Clerc explique dans cette vidéo les fondements de la manière d'enseigner et d'apprendre dans des espaces qui visent formellement ou non à des apprentissages.

FAQ

  • Je suis intéressé-e par ce type de salle de classe, comment puis-je trouver un financement ?

L’équipement d’une salle de classe dite « flexible » peut être pris en charge par le budget d’établissement et/ou dans le cadre des campagnes de financement par les instances régionales, propriétaires des locaux. Dans tous les cas, la demande devra s’intégrer dans un projet pédagogique qui pourra justifier de la nécessité de cette forme d’investissement. De la même façon, il s’agira de bien veiller à ce que le matériel acheté soit conforme aux règles d’hygiène et de sécurité.
Il est probable que ce type de mobilier puisse générer de l’inquiétude par rapport à des temps et modalités d’entretien qui pourraient paraître plus lourds. De ce fait, il est possible de veiller à ce que le nettoyage des surfaces reste simple (éviter les tissus par exemple).


  • Cette modalité d’installation de salle de classe ne génère-t-elle pas trop de bruit ?

Organiser une salle flexible autorise de fait une circulation plus libre des élèves et permet naturellement des échanges entre eux, notamment lorsqu’elles-ils sont en petits groupes. Il est important de s’interroger sur l’intérêt pédagogique qui a abouti à cette organisation de l’espace. C’est bien l’intention pédagogique de l’enseignant-e qui légitime une telle organisation. Il est donc probable que le niveau sonore global dans la salle soit en adéquation avec cette intention
pédagogique. Ce qui, finalement, ne diffère pas d’autres organisations spatiales (en mode « U » ou en ilots par exemple).


  • Quelles sont les conditions matérielles pour qu’une salle de classe puisse être dite « flexible » ?

Tous les sens sont mis en éveil (musique, plante, mobilier varié et coloré…). Des places assises flexibles sont proposées : chaque classe doit proposer au minimum trois manières de s’installer pour travailler différemment. Cela peut passer par la présence de tabourets, de coussins, de tapis, de chaises roulantes, de fauteuils.
L’espace de travail de l’enseignant est intégré dans l’espace de la classe.
Les tables elles-mêmes sont flexibles et adaptées aux types d’assises :
o tables basses : coussins
o tables moyennes : chaises standards – à roulettes – ballons…
o tables hautes : chaises hautes ou travail debout
o vélos bureaux
La mise en îlots des bureaux a pour but de favoriser l’interaction entre les apprenants. Nous nous situons donc principalement dans une logique de pédagogie collaborative, coopérative ou différenciée.
Ce lieu est aménagé de telle manière que l’élève qui souhaite s’isoler peut le faire d’une manière ou d’une autre. A cette fin, il suffit de prévoir un moyen pour que l’élève puisse s’isoler : un casque anti-bruit, un coin en retrait, un paravent.

  • Est-il possible de mettre en place cette modalité pédagogique avec tou-te-s les apprenant-e-s ?

Nombre d’enseignants se demandent si la salle flexible peut être adaptée à tous les profils d’élèves, notamment les élèves à besoins particuliers. En effet, cette flexibilité, tant au niveau du mobilier qu’au niveau pédagogique entraîne nécessairement des changements de repères d’une séquence à l’autre voire au cours d’une même séquence. Or, certain-es élèves, en particulier celles et ceux porteur-euse-s d’un TSA (trouble du spectre autistique)peuvent manifester un grand besoin de stabilité, y compris dans leur gestion de l’espace et/ou du temps. Cependant, cette difficulté peut être évitée en passant, pour ces élèves, par une phase d’explicitation et de repérage en amont, des différentes modalités de flexibilité, c'est-à-dire repérer avec elles-eux les différents agencements possibles de la pièce et des modes d’enseignement).

  • Je voudrais installer ce type de salle dans mon établissement mais que vont en penser les collègues ou encore les parents d’élève ?

L’aménagement d’une telle salle est sous-tendu par une intention pédagogique qui relève du projet éducatif et pédagogique de l’établissement. En dehors de la littérature scientifique qui montre tout l’intérêt de proposer une salle flexible, il est possible de légitimer cette modalité pédagogique en l’inscrivant dans le projet d’établissement, en la présentant dans les différentes instances de l’EPL ou encore en réunion de rentrée ou à tout autre moment d’échanges avec les familles. Pourquoi ne pas y organiser des rencontres parents professeurs par exemple ? Un portage par l’équipe de direction permet par ailleurs de renforcer durablement cette légitimité.