Agir contre le harcelement

Violences interpersonnelles Prévenir et éduquer Agir et gérer une crise

Témoignage

Émilie et Marion sont entrées en seconde générale au lycée agricole, elles sont toutes deux issues du même collège et amies depuis plusieurs années. La seconde s’est bien déroulée, elles passent toutes deux en 1ère STAV et démarrent une nouvelle année scolaire.

Au retour d’un week-end, Émilie est étonnée de voir Marion changer de place et ne plus être placée à côté d’elle. Cet éloignement se confirme par un arrêt progressif de leurs échanges tout au long de la journée. Émilie est une jeune plutôt à l’aise dans la relation humaine. Elle cherche à obtenir une explication auprès de son amie qui lui fait part de sa déception et des propos qu’elle aurait tenus et rapportés par Dorine, une élève de la classe dont elle s’est déjà beaucoup rapprochée.
Émilie nie avoir tenu ces propos mais n’est pas entendue.
Peu à peu Dorine et Marion mettent en place une stratégie d’isolement d’Émilie (soupirs, moqueries, mise à l’écart pendant les cours d’EPS, pendant les travaux de groupes, elle n’est plus conviée aux co-voiturages organisés, etc.).
Sur les réseaux sociaux, des photos d’Émilie prises dans des soirées festives sont partagées et commentées de manière humiliante.
Émilie est très affectée par cette situation. Ses résultats scolaires commencent à chuter, ses absences se multiplient. L’équipe éducative ne se rend pas compte des raisons de cette situation mais est inquiète.
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La CPE convoque Émilie et prend la mesure de son mal être. Alors qu’elle n’entame aucune démarche auprès de Marion et Dorine, celles-ci taxent Émilie d’être une « balance » qui va pleurer dans le bureau de la CPE. La situation empire. Chaque fois qu’Émilie est absente, elle a beaucoup de mal à récupérer les cours car Marion et Dorine « mettent la pression » aux autres élèves pour qu’ils ne les lui transmettent pas. Émilie perd peu à peu toute confiance en elle et évoque l’idée d’arrêter sa scolarité…

L'essentiel à savoir

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Depuis 2013, le harcèlement et sa prévention sont inscrits dans le code de l’éducation, sachant par ailleurs que le harcèlement constitue un délit, quel que soit le cadre dans lequel il s’exerce (article 222-33-2-2 du Code pénal). Dysfonctionnement du groupe, climat scolaire détérioré, intolérance, défaut d'empathie : les causes du harcèlement sont multiples.

Certaines populations vulnérables sont plus exposées (par exemple, les élèves en situation de handicap ou les élèves transgenres), mais les situations de harcèlement comme celle que nous avons exposée se « banalisent » et concernent autour de 6 à 10% de la population scolaire (Rapport d'information n° 843 (2020-2021) de Mme Colette MÉLOT, fait au nom de la MI harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, déposé le 22 septembre 2021), dont 6% sont harcelés de manière sévère. Internet et les réseaux sociaux alimentent et sont susceptibles de renforcer la violence exercée.

Le harcèlement n'est pas une affaire privée entre jeunes, ni une étape nécessaire de l'adolescence, à résoudre exclusivement dans la sphère familiale, mais bien un problème qui concerne tous les acteurs du monde éducatif. Il a de multiples origines et se manifeste de façon plus ou moins immédiate, plus ou moins visible. Cette violence concerne les jeunes de tous âges, de tous milieux et il n’est pas rare que des victimes deviennent des auteurs (et inversement).

Intervenir au plus près est donc indispensable, mais cela est complexe car les élèves (victimes, témoins comme auteurs) parlent peu.
Les conséquences délétères du harcèlement sont largement établies, à court, moyen et long termes : perte d’estime de soi, dépression, tentatives de suicide et suicides, conduites à risque, comportements violents, absentéisme chronique, phobie et décrochage scolaire, etc.
Le cyber harcèlement préoccupe les adolescents, les réseaux sociaux semblent clairement identifiés comme constitutifs de la spirale du harcèlement y compris pour les plus jeunes ; 20 % des jeunes de 8 à 18 ans déclarent avoir déjà été confrontés à une situation de cyber harcèlement. (Rapport d'information n° 843 (2020-2021) de Mme Colette MÉLOT). La lutte contre le cyber harcèlement constitue désormais un axe incontournable de la prévention, en témoigne la mise en place de numéros verts (30 20 / 30 18) et de plateformes dédiées, tant pour les parents que pour les enfants.
Des ressources sont mises à disposition des équipes en établissement et qui s’en saisissent régulièrement pour déployer des actions de prévention et d’éducation au vivre ensemble, en témoignent celles qui sont présentées dans cette fiche.

  • Les expériences mises en œuvre dans l‘Enseignement Agricole invitent à former l’équipe éducative afin de déployer un dispositif efficient et de lancer une dynamique efficace de prise en charge de ces phénomènes de harcèlement.
Il est important de considérer que toute situation de harcèlement doit être traitée à plusieurs niveaux :
• au niveau de la victime et du harceleur ;
• au niveau du groupe dans lequel ils évoluent (classe, internat, établissement) ;
• au niveau du contexte plus large de l'environnement personnel et familial de la victime.

Dans le cas d’Émilie, nous assistons à un acharnement insidieux mais efficace, qui atteint la jeune fille très profondément et lui fait perdre toute confiance en elle, ce qui constitue un acte de harcèlement. Il s’agit pour les adultes de l’établissement de mettre l’accent sur l’écoute, la reconnaissance du statut de victime de la jeune fille et le rétablissement d’un mode de relations dans la classe ne laissant pas s’installer un système de domination entre un petit groupe de harceleurs et les autres élèves qui préfèrent détourner le regard pour ne pas être pris pour cible. L’empathie doit venir appuyer l’action des adultes dans cette classe pour rétablir les liens entre la victime et les jeunes « passifs ». Les parents d’Émilie devront être contactés et mis au courant de la situation, conseillés pour ne pas envenimés la situation, soutenus et associés à son traitement. A l'échelle de la classe ou de l'établissement, une dynamique préventive globale du harcèlement peut être envisageable pour favoriser un climat scolaire propice à des relations saines.

Ressources

  • Règlementation, procédures dans l'Enseignement Agricole
Cadre et ressources en matière de sensibilisation prévention et accompagnement sur les phénomènes de harcèlement et de cyberharcèlement
Processus de traitement des situations de harcèlement et cyberharcèlement
Protocole de traitement des situations de harcèlement dans les établissements d'enseignement agricole

  • Numéros verts à privilégier

Élèves, parents, professionnels : 3020
Ce dispositif téléphonique, gratuit depuis tous les postes, propose écoute, conseil et orientation aux appelants. Le 3020 est joignable du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9h à 20h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi.

Cyberharcèlement : 3018
Le 3018 est le numéro vert national de prise en charge des victimes de cyberharcèlement à l’école. 100% anonyme, gratuit et confidentiel, il prend en charge des milliers d’appels par an afin d’écouter, informer et conseiller ces publics, du lundi au vendredi de 9h00 à 20h00 et le samedi de 9h à 18h.
Au-delà de l’écoute et du conseil, l'équipe peut vous aider au retrait d’images ou de propos blessants, voire de comptes le cas échéant.

  • Des sites web offrant un ensemble de dispositifs de lutte

Le site "Non au harcèlement" de l’Éducation Nationale vous offre différents cadrages et définitions du harcèlement, mais aussi des programmes d'action contribuant à l'endiguer (programme PHARE, dispositif d'ambassadeur "non au harcèlement").

Le site Chlorofil vous propose des ressources et des exemples d'action mises en oeuvre dans les établissements de l'enseignement agricole.

La lettre n°7 du Réseau Insertion Egalité Diversité : Harcèlement: comprendre, prévenir et agir en établissement


  • Des dispositifs spécifiques de prévention et de gestion des situations de harcèlement à mettre en œuvre en établissement

L'approche "sentinelles et référents" concerne un groupe mixte et paritaire d'adultes et de jeune. L'action permet aux élèves "sentinelles" de repérer des situations individuelles ou collectives à risque majeur, et d’en référer aux adultes "référents", voire d’intervenir auprès des victimes et des témoins.

La méthode de la préoccupation partagée a été mise au point en Suède par le psychologue Anatol Pikas. Elle a été développée dans différents pays, notamment scandinaves. Si elle permet de réduire significativement le taux de harcèlement à l’école, c’est sans doute parce qu’elle traite le problème directement à sa source : l’originalité de cette démarche consiste en effet à suivre de façon régulière ceux qui ont pris part au harcèlement et à rechercher avec eux une issue favorable à la victime.

L'association TOTEM s’adresse aux jeunes sans détour, sans chercher à leur faire la morale ou à leur répéter les dangers liés au harcèlement qu'ils connaissent souvent très bien. Il s’agit de les aider à se poser les bonnes questions, afin qu'ils puissent se positionner plus facilement par rapport à ce qu'ils vivent au quotidien.
L’objectif est triple :
. Partager un temps de réflexion autour de la thématique ;
. Aider les jeunes à mieux prendre conscience des choix qu'ils font ;
. Leur donner des clés pour être davantage à l'écoute d'eux-mêmes.

Le programme non au harcèlement propose des exemples de démarche et de projets pédagogiques pour agir contre le harcèlement dans l’Enseignement Agricole.

Bibliographie

- Catheline N. (2015). Le harcèlement scolaire. Que sais-je 4038, Presses Universitaires de France.
- Romano H. (2015). Harcèlement en milieu scolaire, Victimes, auteurs : que faire. Dunod, Collection : Enfances.
-Diaporama de la conférence du 29/09/2023 d'Hélène Romano,Harcèlement:de quoi parle-t-on ? Savoir comprendre, repérer et prendre en charge
- Bellon J.P & Gardette B. (2016). Harcèlement scolaire, le vaincre, c’est possible : La méthode de la préoccupation partagée. ESF Editeur.
- Zanna O. (2015). Apprendre à vivre ensemble en classe, des jeux pour éduquer à l'empathie.Dunod.
- Zanna O. (2019). L'éducation émotionnelle pour prévenir la violence. Pour une pédagogie de l'empathie. Dunod.

FAQ

Que dit la loi au sujet du harcèlement scolaire, que peut-il se passer si une famille porte plainte ?

L’article 5 de la loi Pour une École de la confiance inscrit le droit à une scolarité sans harcèlement dans le code de l’éducation.
Il y a harcèlement scolaire si au moins un élève fait subir à un autre, de manière répétée, des propos ou des comportements agressifs. C’est en soi une infraction réprimée par l’article 222-33-2-2 du Code pénal (étendu en août 2018).
Les cas où le harcèlement est fait en présence de mineurs, ainsi que les cas où celui-ci est filmé, donnent lieu à des sanctions aggravées (loi du 2 mars 2022)
La victime mineure ou ses parents peuvent déposer plainte (le plus souvent dans un délai de 6 ans).
Le volet pénal a été renforcé par la loi du 2 mars 2022 pour renforcer la répression, pour la définir et surtout pour mieux accompagner.
« Art. 222-33-2-3.-Constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l'article 222-33-2-2 lorsqu'ils sont commis à l'encontre d'un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement.
« Le harcèlement scolaire est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsqu'il a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'a entraîné aucune incapacité de travail.
« Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.
« Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
« Le présent article est également applicable lorsque la commission des faits mentionnés au premier alinéa du présent article se poursuit alors que l'auteur ou la victime n'étudie plus ou n'exerce plus au sein de l'établissement. »
- Le harcèlement scolaire : ce que dit la loi : fiche à télécharger ICI

L’établissement scolaire doit-il agir et traiter une situation de harcèlement concernant un jeune scolarisé mais qui se déroulerait « hors les murs » ?

  • Le harcèlement se déroule dans tous les lieux pendant et hors temps scolaire. Les faits de violence scolaire sont sanctionnés, qu'ils aient été commis au sein ou en dehors des bâtiments de l'établissement scolaire. Les chefs d’établissement doivent être informés de toutes les situations de harcèlement, y compris les situations de cyber harcèlement lorsqu’elles impliquent des élèves de l’établissement. Ils sont responsables de leur traitement. ( Protocole de traitement des situations de harcèlement dans les collèges et les lycées ,Ministère de l’Education Nationale, décembre 2015,)

Comment déceler une situation de harcèlement entre élèves ?

Si certains élèves "bouc émissaires" sont facilement repérables en classe et dans les temps hors classe au sein de l’établissement, bien des situations de harcèlement sont difficilement décelables par les adultes, alors d'ailleurs qu'elles sont bien connues des élèves qui ne les dénoncent pas. Se mobiliser contre les phénomènes de harcèlement demande une vigilance accrue de de la part des équipes éducatives, nécessite des échanges afin de repérer ce que l'on peut appeler des « signaux faibles ». Il peut s'agir de changements de comportement progressifs, d'attitudes inhabituelles ou d'incidents qui, s'ils ne sont pas mis en relation, n'évoquent pas forcément un mal être lié à une situation de harcèlement.
Des dispositifs de « veille éducative », d'échanges et de repérages tels que les Groupes Adultes Relais, les réunions d'équipes, etc. sont des atouts et contribuent à une meilleure vigilance sur cette question.

Comment agir concrètement avec la victime ?

  • Les adultes qui vont intervenir dans une situation de harcèlement vont avant tout s'attacher à créer un lien de confiance avec la victime. Il faut donc travailler avec elle sur ce qui est envisageable de faire pour l'aider, pour la protéger et avoir pour objectif de lui faire reprendre confiance en la relation aux autres, y compris en la relation avec les adultes de l’établissement qui ont pu être témoins de situations de harcèlement sans s'en rendre compte. Il peut être tenté, lorsque l'adulte est aguerri avec des modes d'entretien originaux, d'essayer de mobiliser les « ressources » de la victime, sa capacité à réagir, à se tourner vers des jeunes qui seraient éventuellement des alliés. Quoi qu'il en soit, le lien avec la famille de la victime est important à tisser, les parents n'étant pas souvent au courant de ce qui passe pour leur enfant. Un travail avec eux peut contribuer à redonner un sentiment de sécurité souvent complètement altéré par les agissements du/des harceleurs. Toute injonction à réagir, à « ne pas se laisser faire », à « ne pas s'inquiéter », etc. toute minimisation peut contribuer à accentuer la culpabilité de la victime, le sentiment d'être « responsable » de ce qui lui arrive.

Comment accompagner un jeune qui glisserait vers un « trouble scolaire anxieux » (« phobie scolaire ») suite à un vécu de harcèlement ?

Les conséquences du harcèlement sur la santé mentale peuvent être très lourdes et aboutir à une déscolarisation progressive en lien avec un trouble scolaire anxieux, souvent qualifié de « phobie scolaire ». Dans ces situations, des aménagements de la scolarité pour compenser les absences sont possibles via notamment un PAI (Projet d’Accompagnement Individualisé), tout en valorisant par exemple les ressources du CNED. L'établissement peut adapter l'emploi du temps, en lien avec les professionnels de santé assurant le suivi de l'élève concerné(e). Les objectifs qui priment dans ces situations sont avant tout la resocialisation et le retour progressif dans la classe, ce qui suppose parfois de prendre le temps nécessaire.

Comment agir avec le/les harceleur(s) ?

La gestion d’une situation de harcèlement vise à faire prendre conscience à/aux auteurs des faits de harcèlement de la gravité de leurs actes et de leurs éventuelles conséquences
Il s’agira donc avant tout d’être clair sur la qualification des faits reprochés, sur ce qu’en dit la loi, et sur les conséquences que de tels agissements peuvent avoir sur l’ensemble des personnes concernées. Rappelons que lors des entretiens avec le /les auteurs, il est nécessaire de vérifier s’il/s comprennent la gravité de leur comportement et de réexpliquer l’attitude que l’on attend de leur part, afin de les responsabiliser. Il est signalé à l’élève que ses parents (responsables légaux) seront informés, par écrit. Il est également avisé des suites possibles, notamment en termes de sanction et d’éventuelles poursuites pénales.
Dans les dispositifs de prévention du harcèlement proposés dans nos ressources, la Méthode de la préoccupation partagée se centre sur la prise en charge du/des harceleurs.
Le harcèlement étant par nature un phénomène de groupe, l’objectif de la méthode est de défaire l’effet de groupe en ré-individualisant chacun de ses membres. Ceux qui ont participé à l’intimidation sont incités à devenir les acteurs de la résolution du problème qu’ils ont créé. L’intervenant les place en position de réparer ce qu’ils ont fait subir à la cible.
Cependant lors des faits violents peuvent nécessiter une réaction immédiate en terme de sanction et déclencher un signalementau procureur de la République.

Quand faire un signalement pour une situation de harcèlement ?

En cas de danger ou risque de danger pour les victimes et/ou auteurs (situation de harcèlement qui perdure malgré la prise en compte de la situation, détresse psychologique, faits de violences, menaces…)vous transmettrez soit une information préoccupante au Conseil départemental, soit un signalement au procureur de la République en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.